Forums du site Top Chrétien
(C) 2002-2011 Philippe Audinos


La philosophie du christianisme de Michel Henry

Cette page reproduit mes interventions personnelles sur un nouveau forum sur le thème La philosophie du christianisme de Michel Henry du Top Chrétien, le portail chrétien évangélique francophone qui est accessible à l'adresse suivante : http://forum.topchretien.org. J'ai aussi ajouté quelques autres messages nécessaires au suivi de la discussion.

Retour vers la page précédente


Message de docgerard (Modérateur)

Posté le: 10/6/2006 10:43 Sujet du message: la philosophie du christianisme proposée par Michel Henry.

Philippe nous propose de dialoguer sur la philosophie du christianisme vue par Michel Henry.

Philippe est un nouveau venu parmi nous, ingénieur informaticien, chrétien et « accessoirement de confession catholique ».

Pour lancer le débat, il propose un résumé synthétique de la phénoménologie de la vie de Michel Henry :

« Le philosophe chrétien Michel Henry, qui nous a quitté en 2002, a consacré ses trois derniers ouvrages à l'élaboration d'une philosophie du christianisme basée sur sa phénoménologie de la Vie. L'affirmation centrale sur laquelle repose cette philosophie est que « Dieu est Vie », c'est-à-dire une « Révélation pure qui ne révèle rien d’autre que soi ». La Vie ne se réduit pas pour lui à la vie biologique définie par des propriétés objectives comme le besoin de se nourrir ou la capacité de se reproduire, elle se définit d'abord d'un point de vue phénoménologique par le fait purement subjectif de « se sentir et de s'éprouver soi-même », elle est de l'ordre de la force subjective et de l'affectivité. Dieu est donc pour Michel Henry cette révélation intérieure qui est à l’œuvre en nous jusque dans la moindre de nos impressions subjectives. Que pensez-vous de cette conception d'un Dieu qui ne cesse de nous engendrer et de se révéler en nous par le don permanent de la vie ? »

« Pour plus d'informations sur la philosophie de Michel Henry et sur sa conception phénoménologique de Dieu, on pourra se reporter aux articles suivants de l'encyclopédie libre Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Henry et http://fr.wikipedia.org/wiki/Dieu (définition de Michel Henry). »

Seuls des philosophes, théologiens ou exégètes catholiques se sont, à sa connaissance, exprimés à son sujet. Il souhaite avoir l'opinion d'évangéliques sur la question, et qu'une discussion s'amorce entre catholiques et évangéliques au sujet de sa philosophie du christianisme, trouvant « ses conceptions assez originales et d'une grande profondeur » .

Voilà, faisons bon accueil à Philippe et, comme d'habitude, qu’un dialogue franc, courtois, tolérant, empreint d’amour fraternel s’installe ici.



Message de Xav

Posté le: 10/6/2006 13:39 Sujet du message: la philosophie du christianisme proposée par Michel Henry.

Quel beau sujet, merci. Bon ben pour ce qui concerne mon avis étant donné que je suis Kto, c'est pas top. Pas top dans le sens que ce ne sera pas un avis évangélique.

Donc, perso, je trouve cette philo super et aussi super chrétienne. Ce qui me touche c'est de savoir que Dieu m'engendre en permanence à la vie, il pense continuellement à moi, et ce personnellement. Que d'amour pour nous. Merci Seigneur.
_________________
In Christo,
Xav (séminariste)

Dieu est amour 1 jn 4, 16



Message de Lambert (Modérateur)

Posté le: 10/6/2006 14:58 Sujet du message:

Je veux bien faire bon accueil à Philippe, pour ça pas de problème, mais la philosophie c'est pas mon truc, le cours était pas obligatoire et pas d'épreuves à l'examen, alors j'ai évité d'y perdre mon temps vu que j'avais 40h d'autres matières dont la plupart me causaient bien du tracas.
_________________
http://www.connaitredieu.com/

Fortifiez vous et que votre coeur s'affermisse, vous tous qui espérez dans le Seigneur.



Message de Philippe Audinos

Posté le: 10/6/2006 20:11 Sujet du message:
Lambert a écrit:

Je veux bien faire bon accueil à Philippe, pour ça pas de problème, mais la philosophie c'est pas mon truc, le cours était pas obligatoire et pas d'épreuves à l'examen, alors j'ai évité d'y perdre mon temps vu que j'avais 40h d'autres matières dont la plupart me causaient bien du tracas.

Merci de ton accueil !!! Very Happy

Mais pour ce qui est de la formation en philosophie, il ne me reste que quelques vagues souvenirs bien lointains de terminale scientifique. En fait j'ai vraiment découvert la philosophie contemporaine en écoutant l'émission Répliques d'Alain Finkielkraut sur France Culture et j'ai fait la découverte de la phénoménologie par la pratique, en lisant les ouvrages de Michel Henry.

Lorsque l'on débute et que l'on commence à lire ces livres qui sont d'abord destinés à des philosophes ou à des étudiants en philosophie, c'est un peu fastidieux parce que l'on ne connaît pas le vocabulaire philosophique, mais en persévérant un peu et avec un bon dictionnaire on se rend compte que les passages assez techniques et difficiles alternent fort heureusement avec d'autres beaucoup plus accessibles et compréhensibles par le commun des mortels.

Dans la présentation que j'ai essayé de faire sur Wikipédia de l'oeuvre de Michel Henry, je me suis efforcé d'utiliser un langage pas trop compliqué, ne serait-ce que pour pouvoir me comprendre moi-même.
_________________
Philippe Audinos



Message de Cincinatus

Posté le: 11/6/2006 05:14 Sujet du message:

Bonjour,

La chose semblerait assez prometteuse (en tout cas, s'il fallait ici nous limiter qu'au plan de la pure curiosité intellectuelle); en premier qu'il faudrait bien que je lise au complet un de ses ouvrages. Alors merci d'avoir attirer mon attention.

Donc d'en savoir un livre à recommander parmi quatre autres du même auteur : ce serait lequel ?



Message de Philippe Audinos

Posté le: 11/6/2006 10:50 Sujet du message: Conseils de lecture

Sur les trois livres que Michel Henry a écrit sur le christianisme, je conseillerais Paroles du Christ pour ceux qui redoutent la philosophie parce qu'il est à la fois le plus court (155 pages) et le plus accessible. Sinon pour un exposé de sa philosophie du christianisme et de sa conception de Dieu comme auto-révélation de la vie, il faut plutôt lire C'est moi la Vérité. Pour une philosophie du christianisme, qui est plus difficile et fait 345 pages.
_________________
Philippe Audinos



Message de Xav

Posté le: 11/6/2006 10:58 Sujet du message:

Bon, j'ai lu a tête reposé ce qu'il y avait sur wikipedia. Très intéressant, au fait, je connaissais dèjà quelques bouts de sa philosophie, notament par rapport à sa critique du matérialisme, du capitalisme et du communisme. Je trouve aussi sa vision sur la technique qui envahi tout plus que vrai, je dirai même assez prophétique pour notre temps. Souvent, nous agissons exactement en hommes techniques et ce à notre insu. Merci d'avoir aiguisé ma curiosité sur ce philosophe.
_________________
In Christo,
Xav (séminariste)

Dieu est amour 1 jn 4, 16



Message de Cincinatus

Posté le: 12/6/2006 16:42 Sujet du message:

Philippe,

Très bien. Alors j'essaierai de trouver cela et puis je vous en reparle.



Message de Philippe Audinos

Posté le: 11/7/2006 20:38 Sujet du message: Une petite précision pour les non-philosophes...

C'est une bonne idée de vouloir lire un livre de Michel Henry pour pouvoir se faire une idée plus précise de sa pensée et pour pouvoir en discuter plus sérieusement. Mais il est aussi possible d'en discuter simplement à partir des éléments que j'ai donné dans le petit résumé proposé en introduction de ce sujet de discussion ou en se référant aux articles de Wikipédia consacrés à la pensée de Michel Henry.

Il n'y a pas que les spécialistes et les connaisseurs qui ont le droit de s'exprimer sur le sujet. Je souhaiterais aussi avoir l'avis spontané de chrétiens et en particulier d'évangéliques qui n'ont aucune connaissance philosophique particulière et qui ne connaissent pas spécialement la phénoménologie de Michel Henry. Le résumé que j'ai proposé est-il suffisamment clair et compréhensible ?

Il est peut-être aussi nécessaire d'apporter quelques précisions sur les termes utilisés, qui ne sont pas forcément familiers pour tout le monde.

- La « phénoménologie » est la science du phénomène et une méthode philosophique qui se réduit à l'étude des phénomènes tels qu'ils apparaissent, sans chercher à leur donner une interprétation arbitraire ou douteuse. Le phénomène désigne simplement ce qui apparaît et ce qui se manifeste. La phénoménologie ne se préoccupe pas de tel ou tel phénomène particulier, mais de leur apparaître, de la façon dont les phénomènes se donnent à nous et se manifestent.

- Ce que Michel Henry appelle la « vie phénoménologique absolue » est la vie subjective des individus réduite à sa pure manifestation intérieure, telle que nous en faisons l'expérience immédiate et telle que nous l'éprouvons en permanence.

- Le terme « se révéler » signifie simplement se manifester et apparaître en soi.
_________________
Philippe Audinos



Message de Bernard

Posté le: 16/7/2006 13:50 Sujet du message: Re: Une petite précision pour les non-philosophes...
Philippe Audinos a écrit:

- La « phénoménologie » est la science du phénomène et une méthode philosophique qui se réduit à l'étude des phénomènes tels qu'ils apparaissent, sans chercher à leur donner une interprétation arbitraire ou douteuse. Le phénomène désigne simplement ce qui apparaît et ce qui se manifeste. La phénoménologie ne se préoccupe pas de tel ou tel phénomène particulier, mais de leur apparaître, de la façon dont les phénomènes se donnent à nous et se manifestent.

- Ce que Michel Henry appelle la « vie phénoménologique absolue » est la vie subjective des individus réduite à sa pure manifestation intérieure, telle que nous en faisons l'expérience immédiate et telle que nous l'éprouvons en permanence.

Bonjour Philippe.

C'est une approche intérressante

Il me semble que cette vie subjective est davantage présente dans les rêves que l'on fait pendant le sommeil ; du moins personnellement, sans être un psy de l'interprétation des rêves, je suis conscient de ce que j'éprouve en permanence dans mes rêves beaucoup mieux qu'en état d'éveil dans certains cas. Puisque les rêves sont des phénomènes de notre état d'esprit est-ce que Michel Henry traite cela aussi ?
_________________
Bernard



Message de Philippe Audinos

Posté le: 17/7/2006 21:10 Sujet du message: A propos des rêves

Bonjour Bernard.

Nous faisons l'expérience subjective de la vie en permanence, pas seulement dans les rêves, par exemple lorsque nous éprouvons une joie intense ou une grande tristesse. D'une façon générale la fréquentation des œuvres d'art, par exemple la contemplation d'une peinture de Kandinsky ou l'écoute d'une symphonie de Beethoven, permet d'éprouver plus intensément notre propre vie en nous donnant à ressentir des sentiments d'une plus grande richesse et d'une profondeur plus grande que dans la vie ordinaire. Même lorsque nous n'éprouvons rien de particulier, le sentiment neutre qui nous habite est encore une tonalité affective particulière, l'expérience subjective de l'ennui ou du bien-être par exemple.

Nous éprouvons également notre propre vie dans chacune des sensations que nous sentons, dans le toucher comme dans la vision ou dans l'audition par exemple, chaque couleur que nous voyons et chaque son que nous entendons étant des impressions purement subjectives qui appartiennent à notre vie et non au monde sur lequel nous les projetons en permanence. Le simple fait de bouger notre main est également un pouvoir subjectif de notre vie dont nous faisons l'expérience immédiate à chaque fois que nous l'exerçons, dans la mesure où il ne s'agit pas seulement d'un mouvement objectif que l'on peut voir dans le monde et constater de l'extérieur, mais d'un mouvement exercé de l'intérieur par cette force vivante que nous sommes et résultant d'un effort subjectif de notre volonté pour satisfaire un désir.

Michel Henry ne parle pas beaucoup des rêves dans ses ouvrages, sauf lorsqu'il commente les textes de Descartes sur le cogito où il est justement question du rêve, par exemple dans l'article intitulé "Le corps vivant" de son livre Auto-donation. Entretiens et conférences (où il parle de l'article 26 des Passions de l'âme). Descartes remet méthodologiquement en question toutes les évidences sensibles et intelligibles auxquelles nous avons accès et auxquelles nous croyons spontanément en supposant qu'elles ne sont, comme dans le cas d'un rêve, que des illusions ou l'œuvre d'un Dieu trompeur. Si tout ce que nous voyons est faux, il reste cependant une certitude absolue, à savoir le fait que nous voyons.

D'où l'affirmation célèbre du cogito "je pense, donc je suis". Sachant que Descartes englobe dans le terme "penser" l'ensemble des expériences subjectives que nous pouvons faire, tout ce que nous pouvons éprouver, le simple fait de sentir ou de voir par exemple et pas seulement la pensée. De la même façon dans un rêve, si nous éprouvons une crainte ou une frayeur, cette frayeur est bien réelle en ce sens qu'elle est réellement éprouvée par le sujet, combien même tout ce que nous croyons voir est imaginaire puisque rêvé. Non seulement cette frayeur existe, mais elle existe telle que nous l'éprouvons, absolument, incontestablement.

D'un point de vue purement phénoménologique, le rêve n'est donc pas tellement différent de l'état d'éveil, il ne s'agit que d'un mode particulier de la vie qui peut effectivement être vécu de façon très intense comme lorsque nous faisons un cauchemar.
_________________
Philippe Audinos



Message de Bernard

Posté le: 26/7/2006 08:34 Sujet du message: Re: Une petite précision pour les non-philosophes...

Bonjour Philippe,

Je crois que même la foi est subjective. Elle ne sauve que celui qui croit. Mais je dois dire que je ne suis pas bien versé en matière de philosophie tel que Michel Henry alors je ne peux pas me prononcer clairement sur ce sujet.
_________________
Bernard



Message de Philippe Audinos

Posté le: 30/7/2006 22:41 Sujet du message: La foi est subjective...

Bonjour Bernard,

Pour Michel Henry, la Foi est effectivement subjective, mais il précise page 242 de C'est moi la Vérité qu'elle n'est pas une forme de pensée mais une détermination de la vie, elle ne se produit pas dans le champ du savoir, elle n'est pas du domaine de la conscience mais du pathos, de l'expérience immédiate de la vie, elle appartient donc à la « vie phénoménologique absolue ».

Il écrit un peu plus loin que « la Foi est la certitude du vivant de vivre, certitude qui ne peut lui venir en fin de compte que de la propre certitude qu'a la Vie absolue de vivre absolument, de son auto-révélation sans partage et sans reste en la force invincible de sa Parousie. Venue en lui de la propre certitude que la vie a de vivre, la Foi est dans la vie de chaque moi transcendantal l'épreuve qu'il fait de la Vie absolue. »

Ce que Michel Henry appelle la « Vie absolue », c'est ce que l'on appelle « Dieu » dans le christianisme. Cette Vie absolue (avec une majuscule) possède le pouvoir de se révéler et ainsi de se donner au vivant, elle est la source infinie de toute vie finie comme la notre (avec une minuscule). Nous recevons et nous subissons en effet la vie dans une passivité radicale, car nul ne s'est jamais donné la vie.

La « Parousie » est simplement la venue, la présence et la manifestation de Dieu. Le « moi transcendental » correspond au moi pur, le moi de tout individu vivant saisi dans sa pureté, lorsque le monde objectif est mis entre parenthèses par le doute méthodologique de Descartes.
_________________
Philippe Audinos



Message de Bernard

Posté le: 31/7/2006 02:01 Sujet du message: Re: La foi est subjective...
Philippe Audinos a écrit:

Bonjour Bernard,

Pour Michel Henry, la Foi est effectivement subjective,

Dans ce cas on pourrait comparer la foi à l'effet placébo d'un médicament placébo (médicament qui ne possède cliniquement pas les propriétés thérapeutiques pour guérir la maladie concernée) qu'un médecin refile à son patient puisque dans les deux cas l'efficacité repose sur le sujet qui croit.

En effet, le sujet qui obtient la guérison suite à la consommation d'un médicament placébo, l'obtient par l'effet placébo puisqu'il est hypnotisé à l'idée que le médicament qu'il prendra le guérira (bien qu'il s'agit d'un médicament placébo).

http://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_placebo

Ce phénomène repose sur la suggestion ; auto-suggestion dans le cas d'un patient ou suggestion émise par autrui dans le cas, par exemple, d'un hypnotiseur face à un sujet suffisamment influençable.

Dans le dernier cas même encore là le sujet qui accepte de se soummetre aux suggestions de son hypnotiseur ne fait-il pas de l'auto-suggestion en l'acceptant comme tel.

J'ai déjà été témoin de plusieurs sujets qui, en état de sommeil hypnotique, avaient accomplis des exploits que normalement personne y compris eux-mêmes n'est capable d'accomplir en état d'éveil.

Le pouvoir de la suggestion est si efficace que l'on peut s'en servir à des fins nuisibles voire causer la mort d'un personne (c'est l'effet nocebo contrairement à placébo):

Une expérience secrète avait été faite il y a plusieurs décennies sur un criminel condamnés à mort. Il était condamné à l'injection létale et le condamné à mort connaissait le jour de son supplice. Or dans le cadre d'une expérience faite à titre expérimental pour la "science" on décida de lui inoculer dans le sang du condamné une substance innofensive à son insu. Le condamné ayant des électrodes reliés à des instruments de mesures, fut tellement angoissé, croyant avoir reçu la substance létale, que son coeur s'est mit à battre la chamade qu'il a "sauté" (il n'avait aucun problème cardiaque). L'idée d'avoir reçu la dose mortelle (bien que ce n'était pas le cas) avait suscité en lui une telle angoisse qu'il en est mort.

Bon heureusement que le but de la foi est pour en arriver à des fins bénéfiques contrairement à l'effet nocebo, c'était juste pour souligner que la foi n'opère-telle pas elle aussi sur le principe de la suggestion.

D'autant plus que la bible dit que "la foi vient de ce que l'on entend et ce que l'on entend vient de Dieu".

Et si la phénoménologie de l'esprit est entièrement basé sur le principe de la suggestion ?

Ne serait-ce pas là le Verbe de Dieu ?

"Ainsi en est-il de ma parole, qui sort de ma bouche:
Elle ne retourne point à moi sans effet,
Sans avoir exécuté ma volonté
Et accompli mes desseins." (Esaïe 55:11)
_________________
Bernard



Message de Philippe Audinos

Posté le: 1/8/2006 22:07 Sujet du message: Foi et suggestion...

Bonjour Bernard,

N'es-tu pas certain de vivre sans que personne n'ai jamais eu besoin de te l'apprendre ou de te le suggérer ? Selon la définition que Michel Henry donne de la Foi, celle-ci est simplement la certitude qu'a chaque vivant de vivre. Et cette certitude n'est pas une question d'opinion personnelle ou de choix philosophique, elle s'impose à chacun de nous avec une évidence indiscutable, à moins que l'on soit vraiment de mauvaise foi. Cette certitude n'est pas de l'ordre de la pensée, mais de l'expérience immédiate que chacun fait de soi, elle est aussi incontestable que peut l'être l'épreuve d'une douleur par exemple. Cette douleur peut bien être accentuée par la peur et par l'angoisse comme dans l'effet nocebo dont tu parles, ou au contraire atténuée par un médicament placebo ou par suggestion hypnotique, en tant que pure douleur son existence n'en est pas moins incontestable. Si la perception que nous avons de l'intensité d'une douleur peut être modifiée dans une certaine mesure par suggestion, la douleur en elle-même se révèle de façon immédiate sans jamais pouvoir être mise à distance, auquel cas elle cesserait immédiatement puisqu'elle nous deviendrait extérieure. C'est pourquoi Michel Henry dit que la douleur est une parole de Vie, qui nous dit simplement que notre corps souffre et que notre chair a mal.

La Foi, qui consiste simplement en croire en Dieu et en sa parole de Vie, n'est pas seulement une croyance intellectuelle en une pensée abstraite telle que l'existence d'un Dieu infiniment bon qui serait notre Père céleste, c'est d'abord en faire concrètement l'expérience subjective dans notre vie, en éprouvant effectivement son amour infini dans notre cœur et en agissant selon sa volonté. Cet amour sans limite peut être retrouvé par exemple en lisant l'évangile, en écoutant le témoignage d'autres croyants, en lisant les textes de philosophes chrétiens comme Michel Henry ou en écoutant des chants de louange qui portent en eux ce témoignage et cherchent à le partager et à le communiquer aux autres, puisque nous sommes tous appelés à devenir des enfants de Dieu. S'agit-il de suggestion ? Je crois que le problème de la suggestion est la volonté de tromper et d'induire en erreur par le recours à un mensonge. Alors qu'un témoignage authentique ne fait que témoigner de ce que l'on croit sincèrement être la Vérité. Non pas une vérité extérieure, objective et indifférente comme le sont toutes les formes de vérités du monde, mais ce que Michel Henry appelle la Vérité absolue de la Vie.
_________________
Philippe Audinos



Message de Bernard

Posté le: 3/8/2006 00:25 Sujet du message: Re: Foi et suggestion...

Bonjour Philippe,

Je suis content de voir que tu développe le sujet sur un aspect singulier en soulevant des points intérresants

Philippe Audinos a écrit:

Bonjour Bernard,

N'es-tu pas certain de vivre sans que personne n'ai jamais eu besoin de te l'apprendre ou de te le suggérer ? Selon la définition que Michel Henry donne de la Foi, celle-ci est simplement la certitude qu'a chaque vivant de vivre. (...)

Parfaitement d'accord avec le premier point et quant au second point je vais tenter de développer davantage mon point de vue.

C'est certain que je n'ai pas besoin que l'on m'apprenne ou que l'on me suggère que je suis vivant pour l'être ; je parle de la vie du point de vue biologique comme les animaux l'ont aussi et qui, eux aussi, n'ont pas besoin de la foi pour savoir qu'ils sont vivants.

Mais lorsque que l'on parle de la Vie éternelle et de la résurrection (le sujet même de la bible lorsque Jésus dit je suis la vie et la résurrection) et que ce n'est qu'en Jésus que l'on peut obtenir cette Vie éternelle et cette résurrection alors c'est là que la foi devient nécessaire.

Tu as mentionné le doute méthodologique de Descartes dans un précédent post ; à mon avis cette méthode n'est plus applicable lorsque l'on fait l'expérience d'une chose et je m'explique :

On peut dire à un enfant que le feu ça brûle. Que l'enfant applique la méthode du doute prônée par Descartes ou bien qu'il y ajoute foi il n'obtiendra pas le même résultat que celui d'en faire directement l'expérience par lui-même en mettant sa main dans le feu car il s'apercevra dans l'immédiat que le feu ça brûle par la douleur qu'il ressentira. Il sait pertinemment bien par cette expérience que le feu brûle et il ne lui viendra pas à l'esprit de mettre en doute la douleur qu'il a éprouvé lors de cette expérience pas plus qu'il n'a besoin de la foi pour l'éprouver. Il ne s'agit donc pas de suggestion ou d'avoir la foi mais d'expérience directe.

En retour si quelqu'un veut faire cette même expérience en partant avec l'idée que le feu n'aura aucun effet sur lui alors c'est là que la foi doit intervenir. Des hommes de Dieu ont, par miracle, subit l'épreuve du feu sans en mourir ; le cas de la fournaise ardente dans l'ancien Testament en témoigne. Le "chaman" lui aussi, bien que n'étant pas chrétien, parvient à subir l'épreuve en marchant sur le feu sans douleur.

Et je crois que dans les deux cas, "chaman" et homme de Dieu, ils doivent avoir la foi avant de subir cette expérience ; la différence est que le "chaman" ne place pas sa foi en Jésus et lorsqu'il sera confronté à quelque chose de plus éprouvant il ne sera sans doute pas en mesure d'obtenir les mêmes résultats qu'un homme de Dieu obtient.

Aussi dès l'instant que l'on parle de foi on parle d'assurance face à quelque chose que nous n'avons pas encore expérimenté. La foi doit précéder l'expérience qui, normalement, serait douloureuse ou fatale sans elle si on souhaite s'en tirer indemne. Évidemment il n'est pas nécessaire d'avoir la foi pour savoir que le feu brûle puisqu'il s'agit d'un CONSTAT et non d'une ESPÉRANCE. Par contre si on souhaite connaître le résultat contraire il est nécessaire d'avoir la foi qui est une FERME ASSURANE, une ESPÉRANCE.

"Or la foi est une ferme assurance des choses qu'on espère, une démonstration de celles qu'on ne voit pas" (Hébreux 11:1)

"Car c'est en espérance que nous sommes sauvés. Or, l'espérance qu'on voit n'est plus espérance: ce qu'on voit, peut-on l'espérer encore ?" (Romains 8:24)

Ce dernier verset démontre que l'apôtre Paul parlait à des personnes qui espérait être sauvé par la grâce de Dieu et qu'ils se sont approchés suffisamment près du trône de la grâce pour le voir et c'est la raison qu'il leur dit :

Or, l'espérance qu'on voit n'est plus espérance: ce qu'on voit, peut-on l'espérer encore?

Et bien entendu pour voir le trône de la grâce faut s'en approcher

"Approchons-nous donc avec assurance du trône de la grâce, [...]" (Hébreux 4:16)

Philippe Audinos a écrit:

Je crois que le problème de la suggestion est la volonté de tromper et d'induire en erreur par le recours à un mensonge. Alors qu'un témoignage authentique ne fait que témoigner de ce que l'on croit sincèrement être la Vérité. Non pas une vérité extérieure, objective et indifférente comme le sont toutes les formes de vérités du monde, mais ce que Michel Henry appelle la Vérité absolue de la Vie.

Je pense qu'il faut faire la distinction entre la suggestion elle-même et son but. Je crois que l'on peut exploiter la suggestion à des fins bénéfiques ce qui est positif ou à des fins néfastes ce qui est négatif. Les paroles de Jésus sont esprit et vie celles du diable sont mortelles.

"C'est l'esprit qui vivifie; la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie." (Jean 6:63)

Donc si on parle de la phénoménologie de l'esprit on peut aussi bien parler de la phénoménologie des paroles de Jésus puisque ses paroles sont aussi esprit + vie.

Pour ce qui est d'un témoignage, évidemment qu'il ne s'agit pas de suggestion à proprement parler de la part de celui qui témoigne car celui qui témoigne ne fait que relater une expérience dont il a été témoin ; il a connu une expérience directe. Les personnes qui peuvent parler valablement d'une expérience sont celles qui ont connus cette expérience ; il ne s'agit plus de foi mais d'expérience de la part de celui qui témoigne. Mais celui qui entend ce témoignage ne le prend pas forcément comme un témoignage de réalité ; il doit l'aborder avec foi jusqu'au moment où lui-même fera cette même expérience qui l'amènera à son tour à en témoigner.

En bref celui qui témoigne se trouve à exploiter une certaine forme de suggestion dans son témoignage ; il en témoigne pour SUGGÉRER à l'auditeur d'en faire lui-même l'expérience. Par conséquent, celui qui connaît une expérience n'a plus besoin d'explication, ni de témoignage, ni de suggestion pour reconnaître la valeur du phénomène dont il fait l'expérience.
_________________
Bernard



Message de Philippe Audinos

Posté le: 6/8/2006 10:34 Sujet du message: Re: Foi et suggestion...
Bernard a écrit:

C'est certain que je n'ai pas besoin que l'on m'apprenne ou que l'on me suggère que je suis vivant pour l'être ; je parle de la vie du point de vue biologique comme les animaux l'ont aussi et qui, eux aussi, n'ont pas besoin de la foi pour savoir qu'ils sont vivants.

Mais lorsque que l'on parle de la Vie éternelle et de la résurrection (le sujet même de la bible lorsque Jésus dit je suis la vie et la résurrection) et que ce n'est qu'en Jésus que l'on peut obtenir cette Vie éternelle et cette résurrection alors c'est là que la foi devient nécessaire.

Chez Michel Henry, la notion de "vie" ne désigne JAMAIS la vie biologique, à moins que cela ne soit explicitement mentionné. Ce n'est donc pas la vie au sens objectif du terme, considérée de l'extérieur et réduites à certaines propriétés objectives comme le besoin de se nourrir ou la faculté de se reproduire dont il parle, mais de la vie phénoménologique absolue, la vie telle que chacun l'éprouve de l'intérieur, une vie qui se sent et qui s'éprouve elle-même en permanence. Si nous confondons constamment la vie objective vue de l'extérieur avec la vie subjective vécue de l'intérieur, la première n'est cependant qu'une représentation et une apparence visible, tandis que la seconde correspond à la réalité invisible qui la fonde, et qui nous permet d'accéder au monde visible. Car seul ce qui possède la propriété extraordinaire de se sentir soi-même peut voir et sentir le monde qui lui est extérieur.

Il existe fondamentalement selon Michel Henry deux modes de manifestation, qui sont deux façons différentes pour les phénomènes auxquels nous avons accès d'apparaître : l'extériorité qui donne accès au monde visible, et l'intériorité qui donne accès à la vie invisible. Notre main par exemple peut être vue de l'extérieur, comme un objet quelconque ou comme la main d'une autre personne, mais nous pouvons aussi la sentir et la mouvoir de l'intérieur parce que nous coïncidons en permanence avec elle et avec le pouvoir qui la donne à elle-même.

Or la philosophie depuis ses origines grecques ne reconnaît que l'extériorité comme seul mode de manifestation, elle ignore complètement l'intériorité invisible et l'immanence radicale de la vie. C'est pourquoi dans toute la pensée occidentale, la vie est systématiquement réduite à la vie biologique, à un ensemble de propriétés extérieures et n'est jamais saisie dans sa pureté et dans sa radicalité comme l'essence de la manifestation, comme un pouvoir de révélation orginaire qui est irréductible à la visibilité du monde. C'est peut-être un peu technique et assez difficile à comprendre, mais je ne suis pas capable de l'exprimer plus simplement.

C'est pourquoi aussi ceux qui prétendent critiquer la pensée de Michel Henry ne font le plus souvent que des contresens complets parce qu'ils sont malheureusement incapables de comprendre ce dont il parle, parce que la vie ne peut être pour eux que la vie biologique, c'est-à-dire une vie extérieure et objective dont on ne sait à peu près rien. Le prix Nobel de médecine François Jacob dit à ce sujet que l'on n'interroge plus la vie aujourd'hui dans les laboratoires. La biologie est incapable de nous donner accès à la vie parce qu'elle la cherche dans le monde visible où elle n'apparaît jamais parce qu'elle est radicalement invisible. "Invisible" veut dire qu'elle n'est pas visible, qu'elle ne se voit pas de l'extérieur, mais qu'elle se ressent de l'intérieur selon le mode de manifestation qui lui est propre, qu'elle s'éprouve en elle-même et sans distance, comme lorsque nous éprouvons un sentiment.

Bernard a écrit:

Tu as mentionné le doute méthodologique de Descartes dans un précédent post ; à mon avis cette méthode n'est plus applicable lorsque l'on fait l'expérience d'une chose et je m'explique :

On peut dire à un enfant que le feu ça brûle. Que l'enfant applique la méthode du doute prônée par Descartes ou bien qu'il y ajoute foi il n'obtiendra pas le même résultat que celui d'en faire directement l'expérience par lui-même en mettant sa main dans le feu car il s'apercevra dans l'immédiat que le feu ça brûle par la douleur qu'il ressentira. Il sait pertinemment bien par cette expérience que le feu brûle et il ne lui viendra pas à l'esprit de mettre en doute la douleur qu'il a éprouvé lors de cette expérience pas plus qu'il n'a besoin de la foi pour l'éprouver. Il ne s'agit donc pas de suggestion ou d'avoir la foi mais d'expérience directe.

Justement, le fait que je me brûle en approchant ma main du feu ne prouve en toute rigueur absolument pas l'existence du feu, mais seulement celle de la douleur et de la sensation de brûlure que je ressens. Le feu en tant que phénomène objectif et visible qui se produit dans le monde et par conséquent hors de moi peut très bien être en réalité une pure illusion induite par exemple par une machine ou un ordinateur surpuissant connecté directement à mon cerveau et qui trompe tous mes sens comme c'est le cas dans le film de science-fiction Matrix, qui ne fait qu'illustrer sur ce point le doute cartésien en remplaçant le Dieu trompeur par une machine très sophistiquée. Un ordinateur qui calculerait et produirait chacune des images que je crois voir et chacune des sensations que j'éprouve en me trompant de façon radicale et systématique depuis ma naissance. Cette machine provoquerait en moi cette douleur de façon automatique par un dispositif technique quelconque lorsque je crois approcher ma main du feu que je vois devant moi sans qu'il n'y ait aucun feu brûlant nulle part en réalité. C'est pourquoi la vie (au sens phénoménologique) est infiniment plus certaine que le monde, même si nous ne la voyons pas parce qu'elle est invisible.

Le doute pratiqué par Descartes n'a pas pour fonction de douter systématiquement de tout juste pour le plaisir ou pour l'angoisse que cela peut nous procurer, le but recherché par Descartes en inventant cette méthode radicale de réflexion philosophique étant au contraire de trouver un fondement certain et absolu sur lequel fonder la philosophie en mettant entre parenthèses tout ce qui pourrait en toute rigueur n'être qu'une illusion. Et Michel Henry nous montre à ce sujet que Descartes trouve ce fondement ultime de la philosophie et de la pensée non pas dans le monde extérieur (comme dans le matérialisme) ou dans la pensée elle-même (comme dans l'idéalisme), mais dans la vie phénoménologique absolue, dans le simple fait de se sentir et de s'éprouver soi-même en tout point de son être.

Bernard a écrit:

Donc si on parle de la phénoménologie de l'esprit on peut aussi bien parler de la phénoménologie des paroles de Jésus puisque ses paroles sont aussi esprit + vie.

Une dernière précision : la philosophie de Michel Henry est une phénoménologie radicale de la vie, en aucun cas une phénoménologie de l'esprit comme celle de Hegel. Il ne s'agit absolument pas d'une forme d'idéalisme : pour Michel Henry l'absolu n'est pas constitué par la conscience et par la pensée, mais par la vie phénoménologique, c'est-à-dire par l'affectivité et par le sentiment. Pour Michel Henry, c'est la vie qui permet à la pensée d'accéder à elle-même et non le contraire. C'est pourquoi la vie échappe constamment à la pensée lorsqu'elle cherche à l'atteindre ou à la comprendre bien qu'elle soit en réalité son fondement inaperçu, le pouvoir absolu qui ne cesse de la donner à elle-même. Une incapacité à la saisir qui a conduit Freud à inventer la notion d'inconscient, qui n'est qu'une représentation extérieure et maladroite de la vie phénoménologique.

L'affectivité désigne chez Michel Henry le fait d'être affecté et de s'auto-affecter, le fait de se sentir et de s'éprouver soi-même en tout point de son être et par conséquent la capacité à éprouver de la souffrance ou de la joie. Or la souffrance et la joie sont quelque chose de plus fondamental que la pensée et qui lui sont irréductibles. Comme le dit Michel Henry dans L'essence de la manifestation, ce n'est pas le savoir philosophique qui importe, la philosophie vient toujours trop tard car ce qu'elle dit était au commencement. Ou encore : "L'affectivité a déjà accompli son œuvre quand se lève le monde".
_________________
Philippe Audinos



Message de Bernard

Posté le: 8/8/2006 16:00 Sujet du message:

Faudrait que je lise ses oeuvres pour bien comprendre son point de vue.
_________________
Bernard



Message de Philippe Audinos

Posté le: 17/8/2006 20:17 Sujet du message: Dieu comme auto-révélation de la Vie

Pour en revenir au sujet de ce forum, qui est la philosophie du christianisme de Michel Henry, je crois qu'il est souhaitable de reproduire ici l'intégralité du texte concernant sa conception de Dieu compris comme auto-révélation de la Vie, que j'ai rédigé dans l'encyclopédie libre Wikipédia à l'adresse http://fr.wikipedia.org/wiki/Dieu, afin de nous en servir comme point de départ pour nos discussions :

Le philosophe Michel Henry définit Dieu d’un point de vue phénoménologique, dans son livre C'est moi la Vérité, pour une philosophie du christianisme, Editions du Seuil, 1996, p. 40 :

« Dieu est Vie, il est l’essence de la Vie, ou, si l’on préfère, l’essence de la vie est Dieu. Disant cela nous savons déjà ce qu’est Dieu, nous ne le savons pas par l’effet d’un savoir ou d’une connaissance quelconque, nous ne le savons pas par la pensée, sur le fond de la vérité du monde ; nous le savons et ne pouvons le savoir que dans et par la Vie elle-même. Nous ne pouvons le savoir qu’en Dieu. »

La Vie dont il est question ici n’est pas la vie au sens biologique du terme définie par des propriétés objectives et extérieures, ni un concept philosophique abstrait et vide, mais la vie phénoménologique absolue, une vie radicalement immanente qui porte en elle le pouvoir de se manifester en elle-même sans distance, une vie qui se révèle elle-même à chaque instant. Une manifestation de soi et une auto-révélation qui ne consiste pas dans le fait de voir hors de soi ou de percevoir le monde extérieur, mais dans le fait de sentir et de se sentir soi-même, d’éprouver en soi sa propre réalité intérieure et affective.

Comme le dit également Michel Henry dans ce même livre, « Dieu est cette Révélation pure qui ne révèle rien d’autre que soi, Dieu se révèle. La Révélation de Dieu est son auto-révélation ». Dieu est en lui-même révélation, il est la Révélation primordiale qui arrache toute chose au néant, une révélation qui est l’auto-révélation pathétique et l’auto-jouissance absolue de la Vie. Comme dit Jean, Dieu est amour, parce que la Vie s’aime elle-même d’un amour infini et éternel.

Michel Henry oppose à la notion de création, qui est la création du monde, la notion de génération de la Vie. La création du monde consiste dans l’ouverture de cet horizon d’extériorité où toute chose devient visible. Alors que la Vie ne cesse de s’engendrer elle-même et d’engendrer tous les vivants dans son immanence radicale, dans son intériorité phénoménologique absolue qui est sans écart ni distance.

Puisque nous sommes vivants et donc engendrés à chaque instant par la Vie infinie de Dieu, puisqu’il ne cesse de nous donner la vie, et puisque nous ne cessons de naître dans le présent éternel de la vie par l’action en nous de cette Vie absolue, Dieu est aux yeux du christianisme notre Père et nous sommes ses Fils bien aimés, les Fils du Dieu vivant. Ce qui ne veut pas seulement dire qu’il nous a créés au moment de notre conception ou au commencement du monde, mais qu’il ne cesse de nous générer en permanence dans la Vie, qu’il est toujours à l’œuvre en nous jusque dans la moindre de nos impressions subjectives.

_________________
Philippe Audinos



Message de Laurence

Posté le: 19/8/2006 01:20 Sujet du message:

Bonsoir à vous,

Ce que je lis ici à propos de la philosophie de Michel Henry provoque en moi un écho confus. Aussi vais-je exprimer le plus clairement possible mes pensées à ce sujet.

Je pense que cette Vie que l'on ressent en nous-mêmes et qui se base sur des émotions précède la Foi. Je considère en fait que l'accumulation de ces ressentis: larmes à l'écoute d'un air d'opéra, bien-être indicible après avoir converser avec une personne proche de Dieu, réconfort apporté par la lecture de psaumes ou le fait d'avoir assisté à un culte, révolte intérieure face à certains comportements humains ...etc..

C'est ainsi que ma Foi s'est établie petit à petit et je crois qu'elle évolue, qu'elle se transforme, qu'elle se nourrit de ce sentiment de Vie qui grandit et s'intensifie. Je suis un être en transformation continue.

Ces ressentis échappent aux explications détaillées, rationnelles ou scientifiques et finissent par déboucher sur la Foi qui est pour moi inexplicable objectivement par excellence, même si l'on songe aux textes bibliques.

Voilà ce qui constitue ma réflexion.



Message de Philippe Audinos

Posté le: 20/8/2006 19:41 Sujet du message: Un sentiment de Vie qui grandit et s'intensifie...
Laurence a écrit:

C'est ainsi que ma Foi s'est établie petit à petit et je crois qu'elle évolue, qu'elle se transforme, qu'elle se nourrit de ce sentiment de Vie qui grandit et s'intensifie. Je suis un être en transformation continue.

A ce sujet, Michel Henry dit que la vie est fondamentalement un devenir, qu'elle est une oscillation permanente entre la souffrance et la joie (comme le montrent les exemples que tu donnes), qu'elle est le passage sans cesse recommencé de la souffrance vers la joie.

Et il dit justement de la culture, qu'il définit simplement dans son livre sur La barbarie comme « l'autodéveloppement de la vie », qu'elle permet de « s'accroître de soi ».

L'art a ainsi pour fonction l'affinement de notre sensibilité et de nous permettre de nous éprouver plus intensément. Il affirme même, dans un livre consacré au peintre Wassily Kandinsky et intitulé Voir l'invisible, que « l'art est la résurrection de la vie éternelle ».

La religion en général et le christianisme en particulier est également une forme de culture qui a pour fonction d'assurer notre salut en retrouvant dans notre propre vie la Vie absolue qui ne cesse de nous engendrer, c'est-à-dire en éprouvant en nous « cette Vie absolue qui n'a ni commencement ni fin » et qui « s'aime elle-même d'un amour infini » comme il le dit dans son livre C'est moi la Vérité. Pour une philosophie du christianisme.

Laurence a écrit:

Ces ressentis échappent aux explications détaillées, rationnelles ou scientifiques et finissent par déboucher sur la Foi qui est pour moi inexplicable objectivement par excellence, même si l'on songe aux textes bibliques.

La phénoménologie de la vie n'a pas la prétention d'expliquer la vie, mais seulement de la décrire le plus fidèlement possible, ce qui n'est pas facile parce qu'elle est par essence invisible puisqu'elle ne peut jamais être observée de l'extérieur comme les phénomènes objectifs qu'étudient rationnellement les scientifiques.
_________________
Philippe Audinos



Reproduction autorisée

Interventions personnelles de Philippe Audinos dans les forums du site Top Chrétien accessibles à l'adresse suivante : http://forum.topchretien.org . Merci d'en citer la source.


Version 0.4 du 22/01/2011
(C) 2002-2011 Philippe Audinos
Retour vers la page précédente