Forum Organisons-nous! sur la Décroissance
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La Décroissance et le monde rural

Cette page reproduit mes interventions personnelles dans le forum sur la Décroissance et le monde rural qui était accessible à l'adresse suivante : http://zecc.free.fr/phpbb2. J'ai aussi ajouté quelques autres messages nécessaires au suivi de la discussion, mais je n'ai pas tout mis car il y en a beaucoup trop et que je fais la mise en page à la main, ce qui est assez long et très fastidieux. Je me suis permis de corriger quelques fautes d'orthographe au passage. Certaines de mes interventions sont à prendre au second degré, il s'agit en grande partie d'humour.

Je suis tombé un peu par hasard sur ce forum, en cherchant avec un moteur de recherche les références à l'article sur Michel Henry que j'avais rédigé dans Wikipédia. Ce forum a malheureusement été supprimé et transformé en un simple article lors de leur changement de site survenue quelques mois plus tard, au début du mois d'octobre 2005.

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Message de jolly

Posté le: 04 Avr 2005 12:26 Sujet du message:

http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Henry

Citation:
"Aucun objet n'a jamais fait l'expérience d'être touché." (Incarnation, une philosophie de la chair), Michel Henry
Citation:
Le christianisme oppose à la vérité du monde la Vérité de la Vie, selon laquelle l'homme est le Fils de Dieu.
Citation:
La chair vivante s’oppose radicalement au corps matériel.

Je n'adhère pas à tout ça Pleure ou très triste



Message de Philippe Audinos

Posté le: 15 Juil 2005 18:38 Sujet du message: A propos des citations de Michel Henry
jolly a écrit:

http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Henry

Citation:

"Aucun objet n'a jamais fait l'expérience d'être touché." (Incarnation, une philosophie de la chair), Michel Henry

Citation:

Le christianisme oppose à la vérité du monde la Vérité de la Vie, selon laquelle l'homme est le Fils de Dieu.

Citation:

La chair vivante s’oppose radicalement au corps matériel.

Je n'adhère pas à tout ça Pleure ou Très triste

Au mois d’avril, cet article de Wikipédia consacré à Michel Henry n’était encore qu’une ébauche. Il a été largement complété depuis. Même si ce n’est pas vraiment le sujet de ce forum, je vais essayer de donner rapidement quelques informations complémentaires nécessaires à la compréhension de ces courtes citations.

Citation:
"Aucun objet n'a jamais fait l'expérience d'être touché." (Incarnation, une philosophie de la chair), Michel Henry

Pour Michel Henry, un objet ne possède pas d’intériorité, il n’est pas vivant, il ne se sent pas lui-même et ne sent pas qu’on le touche, il ne fait pas l’expérience subjective d’être touché.

Citation:
Le christianisme oppose à la vérité du monde la Vérité de la Vie, selon laquelle l'homme est le Fils de Dieu.

Pour Michel Henry, Dieu n’est pas autre chose que la Vie, une vie phénoménologique absolue qui consiste en se sentir et en s’éprouver soi-même en tout point de son être. Cette vie ne cesse de nous engendrer et de faire de nous des vivants, des fils de cette Vie et donc des Fils de Dieu. La vérité du monde est une vérité extérieure et objective, tandis que la Vérité de la Vie est une Vérité intérieure et subjective (voir l’article sur la vérité dans Wikipédia).

Citation:
La chair vivante s’oppose radicalement au corps matériel.

La chair ne correspond pas du tout dans sa terminologie à la partie molle de notre corps matériel et objectif, par opposition aux os par exemple, mais à ce qu’il appelait dans ses livres antérieurs notre ''corps subjectif''. Ce que Michel Henry appelle un corps, c’est une apparence extérieure et visible que l’on peut voir dans le monde et que nous observons à distance comme un objet. Tandis qu’il réserve le terme de chair pour désigner la réalité intérieure et invisible de notre être dont nous faisons l’expérience en nous-mêmes et avec laquelle nous coïncidons sans distance ni écart.

Il existe une page de discussion associée à chaque article dans Wikipédia. Il ne faut pas hésiter à s’en servir pour obtenir des éclaircissements sur des points difficiles ou pas bien clairs. Quelques remarques peuvent aider à améliorer la qualité et la clarté de l’article.

J’espère que ces informations vont te permettre de mieux comprendre le sens exact de ces citations à défaut d’y adhérer Très content

Philippe Audinos



Message de Invité

Posté le: 24 Juil 2005 18:52 Sujet du message:

Merci pour tes explications, mais elles confirment mon premier sentiment : Michel Henry pense, contrairement à moi, que vie et conscience sont inséparables. Or la frontière entre le vivant et le non vivant est floue. Une bactérie est-elle consciente ? un virus ? un globule de molécules tensioactives fabriqué artificiellement ?



Message de Philippe Audinos

Posté le: 29 Juil 2005 21:47 Sujet du message: Quelques précisions sur la notion de vie
Anonymous a écrit:

Merci pour tes explications, mais elles confirment mon premier sentiment : Michel Henry pense, contrairement à moi, que vie et conscience sont inséparables. Or la frontière entre le vivant et le non vivant est floue. Une bactérie est-elle consciente ? un virus ? un globule de molécules tensioactives fabriqué artificiellement ?

Michel Henry s’intéresse dans ses recherches philosophiques à la vie d’un point de vue phénoménologique, c’est-à-dire telle qu’elle se manifeste en nous dans l’expérience subjective et immédiate que nous en faisons à chaque instant. Il ne peut donc parler que de la vie humaine telle que nous la connaissons personnellement et telle que nous l’éprouvons en nous. Toutes les autres formes de vie qu’étudie la biologie échappent à cette approche, la philosophie ne peut donc qu’avouer son ignorance à leur sujet.

Nous savons ce qu’est la vie parce que nous sommes vivants, et non parce que nous aurions lu tous les livres de biologie qui n’en savent rien parce qu’ils ne considèrent la vie que comme un ensemble de propriétés objectives, d’un point de vue extérieur, alors que la vie est radicalement immanente, intérieure et absolument subjective, elle n’est jamais à distance d’elle-même et n’apparaît donc jamais comme une chose posée devant notre regard et visible dans le monde.

La vie, c’est tout simplement la faculté et le pouvoir subjectif de sentir des sensations, de petits plaisirs ou de grandes peines, d’éprouver des désirs ou des sentiments, de mouvoir notre corps de l’intérieur en exerçant un effort subjectif, ou même de penser. Autant de choses qui nous sont données dans l’affectivité, dans l’auto-révélation pathétique de la vie, dans ce que Michel Henry appelle son auto-affection.

Philippe Audinos



Message de Kristo

Posté le: 30 Juil 2005 8:52 Sujet du message: Re: Quelques précisions sur la notion de vie
Anonymous a écrit:

Merci pour tes explications, mais elles confirment mon premier sentiment : Michel Henry pense, contrairement à moi, que vie et conscience sont inséparables. Or la frontière entre le vivant et le non vivant est floue. Une bactérie est-elle consciente ? un virus ? un globule de molécules tensioactives fabriqué artificiellement ?

Bon, j'ai pas tout lu, mais ce genre de réflexion m'interpelle, comme on dit. Ca me parait des délires (pour être poli) de philosophes.

La frontière entre le vivant et le non vivant est très claire : on reconnaît un être vivant au fait qu'il se nourrit et se reproduit. Mais bien entendu tous les êtres vivants ne sont pas conscients !

Pour être conscient, il faut un minimum d'intelligence, ou tout au moins un système nerveux ou quelque chose qui en fasse fonction.

Par ailleurs, je pense qu'une machine pourrait bien, dans quelques années, être douée d'intelligence et de conscience. D'après des roboticiens, équivalence à l'intelligence humaine dans une dizaine d'années, et 20 ans de plus pour le réaliser dans un robot à taille humaine.

VIE. n. f. Activité spontanée propre aux êtres organisés, qui se manifeste chez tous par les fonctions de nutrition et de reproduction, auxquelles s'ajoutent chez certains êtres les fonctions de relation, et chez l'homme la raison et le libre arbitre.

(mmmh... l'homme, être supérieur, tu parles)

CONSCIENCE. n.f. Sentiment de soi-même ou mode de la sensibilité générale qui nous permet de juger de notre existence : c'est ce que les métaphysiciens nomment la conscience du moi.



Message de Philippe Audinos

Posté le: 30 Juil 2005 8:52 Sujet du message: Re: Quelques précisions sur la notion de vie
Kristo a écrit:

Bon, j'ai pas tout lu, mais ce genre de réflexion m'interpelle, comme on dit. Ca me parait des délires (pour être poli) de philosophes.

Tu es manifestement trop fort et trop intelligent pour t’intéresser à des questions aussi bassement philosophiques, et pour avoir besoin de chercher à comprendre de quoi il s’agit avant de juger et de condamner ce que manifestement tu n’aimes pas beaucoup Clin d'oeil

La philosophie de Michel Henry est peut-être du « délire de philosophe », mais un délire que je trouve personnellement admirable par sa rigueur et par sa profondeur. Mais il s’agit d’une pensée à la fois difficile et exigeante, et je n’ai peut-être pas su trouver les mots pour en expliquer ces quelques notions élémentaires simplement, j’en suis sincèrement désolé Pleure ou Très triste

Je parlais juste de la notion de vie dans la philosophie de Michel Henry et de son effort prodigieux pour la saisir dans sa réalité intérieure plutôt que de façon superficielle comme un ensemble de propriétés objectives telles que se nourrir ou se reproduire. Nous ne mangeons que trois fois par jour et nous ne nous reproduisons pas très souvent, par contre nous nous éprouvons constamment. Ce n’est pas le fait que nous mangions qui fait de nous des vivants, mais le fait que nous nous sentions et que nous nous éprouvions en permanence. C’est cette faculté absolument subjective de sentir des sensations et d’éprouver par exemple des sentiments en nous qui définit la vie au sens phénoménologique du terme.

Cette « conscience » que les concepteurs de robots attribuent aux machines qu’ils vont fabriquer dans les années à venir n’est peut-être qu’une apparence et une illusion, et ce qui se cache en réalité selon Michel Henry derrière cet ensemble de processus aveugles et derrière leur objectivité monstrueuse, c’est ce qui ne sent rien et ne se sent pas soi-même, ce qui n’a ni désir ni amour, c’est-à-dire la mort.

Comme le dit la définition que tu nous en donnes, la conscience est un « sentiment de soi-même » et un « mode de la sensibilité ». Or tout sentiment et n’importe quel mode de la sensibilité est en fait un mode de la vie, il se manifeste en lui-même et se révèle à lui-même : même la conscience a besoin, pour être consciente d’elle-même, de se sentir et de s’éprouver elle-même comme consciente, c’est-à-dire de la manifestation de la vie en elle, de cette vie phénoménologique absolue dont parle Michel Henry dans ses « délires de philosophe ».

Voici la définition que tu pourras lire dans tous les bons dictionnaires d’ici une cinquantaine d’années, à moins que la mort n’ait pris le contrôle total du monde d’ici là :

VIE. n. f. (Philosophie) « Fait de se sentir et de s’éprouver soi-même en tout point de son être. » (Henry)

Cette définition rigoureuse de la vie nous permet également de comprendre la parole de Jean lorsqu’il affirme dans son évangile que Dieu est Vie, ce qui ne veut sûrement pas dire qu’il a besoin de sacrifices sanglants pour se nourrir tous les jours.

Merci d’avoir fait l’effort extraordinaire de me lire jusqu’au bout Clin d'oeil

Philippe Audinos



Message de jolly

Posté le: 05 Aoû 2005 12:20 Sujet du message: Re: Quelques précisions sur la notion de vie
Philippe Audinos a écrit:
Kristo a écrit:

Bon, j'ai pas tout lu, mais ce genre de réflexion m'interpelle, comme on dit. Ca me parait des délires (pour être poli) de philosophes.

Tu es manifestement trop fort et trop intelligent pour t’intéresser à des questions aussi bassement philosophiques, et pour avoir besoin de chercher à comprendre de quoi il s’agit avant de juger et de condamner ce que manifestement tu n’aimes pas beaucoup Clin d'oeil

A la décharge de Kristo, je pense que c'est surtout mes "délires" qu'il visait !

Philippe Audinos a écrit:

[...] Je parlais juste de la notion de vie dans la philosophie de Michel Henry et de son effort prodigieux pour la saisir dans sa réalité intérieure plutôt que de façon superficielle comme un ensemble de propriétés objectives telles que se nourrir ou se reproduire. Nous ne mangeons que trois fois par jour et nous ne nous reproduisons pas très souvent, par contre nous nous éprouvons constamment. Ce n’est pas le fait que nous mangions qui fait de nous des vivants, mais le fait que nous nous sentions et que nous nous éprouvions en permanence. C’est cette faculté absolument subjective de sentir des sensations et d’éprouver par exemple des sentiments en nous qui définit la vie au sens phénoménologique du terme.

Je pense que tant qu'on n'aura pas prouvé que les objets inanimés ne "se sentent et ne s'éprouvent pas en permanence" aussi bien que nous (euh... moi en tout cas, pour les autres je ne sais pas (point crucial)), il est hasardeux de définir la vie ansi.

Philippe Audinos a écrit:

Cette « conscience » que les concepteurs de robots attribuent aux machines qu’ils vont fabriquer dans les années à venir n’est peut-être qu’une apparence et une illusion, et ce qui se cache en réalité selon Michel Henry derrière cet ensemble de processus aveugles et derrière leur objectivité monstrueuse, c’est ce qui ne sent rien et ne se sent pas soi-même, ce qui n’a ni désir ni amour, c’est-à-dire la mort.

Il y a une littérature impressionnante, en majorité anglo-saxonne, sur ce sujet, qui remonte aux premières interrogations sur l'intelligence artificielle (Turing) : Si ça se comporte en tout point comme si c'était conscient, alors ne doit-on pas considérer que ça l'est ?

Philippe Audinos a écrit:

Comme le dit la définition que tu nous en donnes, la conscience est un « sentiment de soi-même » et un « mode de la sensibilité ». Or tout sentiment et n’importe quel mode de la sensibilité est en fait un mode de la vie, il se manifeste en lui-même et se révèle à lui-même : même la conscience a besoin, pour être consciente d’elle-même, de se sentir et de s’éprouver elle-même comme consciente, c’est-à-dire de la manifestation de la vie en elle, de cette vie phénoménologique absolue dont parle Michel Henry dans ses « délires de philosophe ».

Voici la définition que tu pourras lire dans tous les bons dictionnaires d’ici une cinquantaine d’année, à moins que la mort n’ait pris le contrôle total du monde d’ici là :

VIE. n. f. (Philosophie) « Fait de se sentir et de s’éprouver soi-même en tout point de son être. » (Henry)

Cette définition rigoureuse de la vie nous permet également de comprendre la parole de Jean lorsqu’il affirme dans son évangile que « Dieu est Vie », ce qui ne veut sûrement pas dire qu’il a besoin de sacrifices sanglants pour se nourrir tous les jours.

Bon si je comprends bien, M. Henry affirme en gros que la conscience, c'est la conscience d'être en vie, avec attaché à ce terme de "vie" une connotation miraculeuse. Je suis d'accord qu'il doit y avoir du miracle quelque part, mais pour moi ce n'est pas dans le passage du non-vivant au vivant (flou comme je le disais précédement, et éventuellement exaustivement compréhensible par la science), mais dans le fait même d'exister (dans le monde), qui par contre est hors de porté de la science (pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien). La conscience serait alors la conscience d'exister. Et alors : pourquoi tout ce qui existe (objets inanimés compris) n'aurait pas conscience d'exister ?

Dernière édition par jolly le 05 Aoû 2005 13:29; édité 3 fois



Message de bug-in

Posté le: 05 Aoû 2005 12:49 Sujet du message:

Pour répondre à ta question qui te turlupine sur la conscience de l'inanimé ou de ce qui n'est pas homme, il nous faut deux précision : qu'est ce qui est la conscience pour toi, et dans quel observation ont peut la révéler.

La conscience pour toi est-elle lié à la présence d'un cerveau? ou de qq.chose d'autre? A priori non, puisque tu voudrais aussi l'attribué à l'inanimé (à moins que ce soit la vie dont tu parles à ce moment là).

Disons que tu attribue la vie à l'inanimé, (tu me corrigeras), les caillou sont-il dans cet inanimé? ou "inanimé" défini un état passager que peut-prendre une chose (attention! c'est pas si débile que ça : c'est pas parce que dans notre existence on à jamais vu un caillou s'animer, qu'il est inanimé...).

Pour ma part je dirai qu'il y a un problème de taille à dire ce qui à une conscience et ce qui n'en à pas. D'abord, "conscience" c'est nous qui l'avons inventé, si je ne m'abuse on la distingue de la matière parceque contrairement à elle, la conscience peut revenir sur elle même. Le problème c'est de quel droit, pourrait-on attribuer un concept crée par l'homme tel que la conscience sur des êtres ou des choses qu'apostériori nous ne somme pas. En fait je te demande juste de me dire comment tu compte découvrir la chose en soi? Clin d'oeil



Message de jolly

Posté le: 07 Aoû 2005 11:31 Sujet du message:

Enfin si, quand même. Je réagissais à cette citation de M. Henry par laquelle Koba conclut son article sur l'affinité décroissance-monde rural :

Kristo a écrit:

Dans un livre intitulé La Barbarie, le philosophe Michel Henry écrit qu’« avec la technique le caractère autonome du développement a cessé d’être une apparence, c’est un mouvement qui n’a aucun rapport avec la vie, qui ne lui demande rien et qui ne lui apporte rien, rien qui lui ressemble en tout cas, qui soit conforme à son essence et à ses vœux. Ce qu’il apporte, ce qu’il lui impose, c’est justement l’autre de la vie, ce sont des procédures et des mécanismes enfouis au cœur de la nature, que la science extirpe de son sein, qu’elle arrache à la Finalité obscure où ils sont enveloppés, pour se livrer à eux-mêmes, à leur abstraction et à leur isolement : c’est alors qu’ils se déchaînent, nouant entre eux des connexions artificielles, s’épaulant l’un l’autre, s’ajoutant l’un à l’autre, selon un ordre hasardeux qui n’est plus celui de la Nature ou de la Vie, qui n’est plus un ordre mais un procès sauvage où toute possibilité nouvelle née d’une rencontre fortuite devient la seule raison d’un développement qui n’en a plus aucune. Libre de tout lien, séparée de toute totalité cohérente et finalisée, la technique fonce en avant, droit devant elle, comme une fusée interplanétaire, sans savoir d’où elle vient, où elle va, ni pourquoi. Dans son extériorité radicale à la vie, à la vie qui se sent et s’éprouve elle-même et puise en elle, dans ce qu’elle éprouve, la loi de son action et de son développement, elle est devenue une transcendance absolue, sans raison et sans lumière, sans visage et sans regard, une transcendance noire », le vaste empire de la Mort, de l’inerte, de la nullité et de l’insignifiant.

Pour moi ça va trop loin. D'accord la périurbanisation, les bagnoles et tout ça c'est dangereux, mais ce n'est pas parce que la technique est le Mal. Comme j'avais souligné ailleurs, d'aucuns pensent que la technique est la nature de l'homme. M. Henry, d'après ce que j'en comprends, pense que le fait d'être envahis par des objets qui "ne ressentent rien à l'intérieur" est le fond du problème. Je ne suis pas d'accord avec ça. Etre envahi par des objets roulants qui puent, ok c'est un problème. Mais pas la technique en elle-même. La main, la langue de l'homme sont des "objets" techniques.



Message de Philippe Audinos

Posté le: 13 Aoû 2005 15:24 Sujet du message: Re: A propos de La Barbarie de Michel Henry
jolly a écrit:

La main, la langue de l'homme sont des "objets" techniques.

Vue de l’extérieur, notre main peut être assimilée à un dispositif technique très élaboré, elle ressemble effectivement à un objet très sophistiqué, sauf qu’elle est d’abord vécue de l’intérieur comme un pouvoir subjectif et comme une force vivante qui s’éprouve elle-même, une force capable de se mouvoir en exerçant de l’intérieur ce pouvoir immanent.

Lorsque l’on cloue une planche, on considère en général que la planche ne souffre pas de ce clou qui la transperce. Par contre si l’on se donne par maladresse le moindre coup de marteau sur un doigt, çà fait très mal. C’est cette aptitude à souffrir qui distingue radicalement notre main vivante de n’importe quel objet technique. Notre main est douée de sensibilité, alors que jusqu’à preuve du contraire une prothèse par exemple ne l’est pas, elle ne sent rien et ne nous permet pas de sentir, elle est insensible. C’est seulement dans les films de science fiction que l’on change de main, même tranchée à coups de sabre laser, en deux coups de fer à souder, et qu’on la remplace tranquillement par une copie mécanique Clin d'oeil

jolly a écrit:

Etre envahi par des objets roulants qui puent, ok c'est un problème. Mais pas la technique en elle-même.

La technique moderne ne produit malheureusement pas seulement des voitures qui polluent et qui sentent mauvais, mais aussi des plantes trans-géniques trafiquées génétiquement, des clones thérapeutiques ou autres, des armes bactériologiques ou nucléaires qui choisiront bientôt le lieu et le moment de leur destruction de sorte à optimiser le nombre de victimes, des ordinateurs toujours plus puissants pour les piloter, des robots qui assassinent froidement et sans état d’âme de façon presque automatique à la place des hommes, des nanotechnologies dont on nous promet des merveilles en oubliant qu’elle seront détournées pour le pire. Et toutes ses monstruosités sont fabriquées et développées sans aucune autre restriction que quelques limites budgétaires et de faisabilité technique. Tout ce qui peut être réalisé est fait de façon systématique sans aucune considération d’ordre éthique ou moral, c’est ce que l’on a appelé la « folie technologique ».

jolly a écrit:

Comme j'avais souligné ailleurs, d'aucuns pensent que la technique est la nature de l'homme.

Pour Michel Henry, la technique désigne d’une manière générale un « savoir-faire », un savoir qui consiste dans le faire, qu’il appelle la praxis et qui est un savoir essentiellement pratique de la vie elle-même. Un instrument technique n’est à l’origine que le prolongement du corps subjectif dont il augmente le pouvoir et accroît l’efficacité. La technique est alors simplement l’expression de la vie et une forme de culture. Par contre avec la technique moderne, l’action ne provient plus de la vie et de ses besoins, elle est devenue objective, aveugle et autonome. Il ne s’agit plus d’action dans le sens d’une vie qui agit en exerçant un effort subjectif, mais de simples déplacements matériels et de processus objectifs qui jouent d’eux-mêmes.

jolly a écrit:

M. Henry, d'après ce que j'en comprends, pense que le fait d'être envahis par des objets qui "ne ressentent rien à l'intérieur" est le fond du problème. Je ne suis pas d'accord avec ça.

Ce que Michel Henry dénonce dans son livre sur La Barbarie, c’est le fait que la science soit considérée comme le seul savoir authentique et véritable, comme la seule connaissance rationnelle, ce qui conduit à la destruction des formes traditionnelles de culture que sont l’art, l’éthique ou la religion. Car la culture est l’auto-développement et l’accroissement de cette vie absolument subjective dont l’objectivité est précisément la mise hors jeu et la négation. On ne peut par exemple plus parler de Dieu sans que ces propos soient considérés comme « irrationnel », il est presque devenu un sujet tabou relégué dans la vie privée et réduit à une croyance personnelle alors que Dieu est simplement pour Michel Henry l’amour infini et la Vie absolue qui ne cessent de nous engendrer et de nous donner la vie à chaque instant.

Le problème principal pour Michel Henry, ce n’est pas seulement d’être envahis par des objets qui sont heureusement le plus souvent inoffensifs et même parfois d’une grande utilité, mais la négation de la vie par les idéologies scientistes et positivistes qui prétendent parler au nom de la science, c’est-à-dire le rejet de ce qu’il y a de plus précieux et de plus essentiel en nous comme s’il s’agissait d’un savoir dépassé et périmé. Alors que le savoir immanent de la vie (comme celui qui nous permet de mouvoir notre main et qui ne s’apprend dans aucun manuel scientifique) est le plus fondamental de tous les savoirs puisqu’il nous permet d’acquérir tous les autres, y compris le savoir scientifique. La vie est niée sous forme théorique par la science et sous forme pratique par les sciences humaines, qu’il appelle les « idéologies de la barbarie » et que leur prétention à l’objectivité prive de tout objet : elles prétendent étudier l’homme, mais elles le réduisent a priori à un objet privé par principe de toute vie subjective et donc privé de ce qui fait son humanité.

Cette négation de la vie résulte selon Michel Henry de la « maladie de la vie », de son secret mécontentement de soi qui la conduit à se nier elle-même, à se fuir elle-même pour fuir son angoisse et sa propre souffrance. Dans le monde moderne, nous sommes presque tous condamnés dès notre enfance à fuir notre angoisse et notre propre vie dans la médiocrité de l’univers médiatique, une fuite de soi et un mécontentement qui conduisent à la violence, au lieu de recourir aux formes traditionnelles les plus élaborées de la culture qui permettaient le dépassement de cette souffrance et sa transformation en joie. Cette culture existe toujours, mais dans une sorte d’incognito, elle est vouée à la clandestinité dans notre société matérialiste qui est en train de sombrer dans la barbarie Pleure ou très triste

Voilà, j’espère n’avoir pas été trop long, mais il n’est pas facile d’expliquer en quelques lignes un livre aussi dense de 250 pages. Tu pourras trouver un résumé plus complet de La Barbarie dans le fond documentaire, dans la rubrique « décroissance raisonnée ».

Philippe Audinos


Reproduction autorisée

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